Juge tape avec son maillet en bois.

Le 29 décembre 2022 le conseil d’Etat rend définitivement légale la production, la vente et la consommation du CBD en France sous toutes ses formes : fleurs, résines, infusions, huiles etc... Il aura fallu pas moins de 8 années et de nombreuses batailles pour que le flou juridique autour du CBD ne soit définitivement levé. Nous allons revenir sur l’histoire de la légalisation du CBD en France puis nous verrons ensemble quelles sont les perspectives d’évolution et les prochains enjeux.

La longue marche vers la légalisation du CBD

La vapoteuse au CBD Kanavape

L’histoire de Kanavape commence en décembre 2014 lorsque Sébastien Béguerie et Antonin Cohen-Adad fondent leur société. Ils sont alors les premiers à vendre des cartouches de vapotage préremplies au CBD sans THC. Ils profitent du flou juridique existant autour de cette nouvelle molécule mais l'information fait grand bruit et les pouvoirs publics ne tardent pas à être alertés. Au lieu de voir cela comme une fierté d’avoir une société pionnière dans un secteur innovant l’Etat réagit de manière disproportionnée. Une perquisition est menée en février 2015 au siège marseillais de Kanavape. En septembre 2015, les chefs d'inculpation tombent : trafic de stupéfiants, promotion à l'usage de drogues, pratique illégale de la médecine et de la pharmacie, ouverture illégale d'une officine… En 2017 suite à leur condamnation par le tribunal correctionnel de Marseille, leur avocat Xavier Pizarro obtient la saisie de la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE).

Vague de perquisitions et de nombreuses fermetures de boutiques

Autour de 2018 les boutiques commencent à fleurir. Durant toute cette période plusieurs entrepreneurs subissent des gardes à vue, des saisies, des enquêtes et même des détentions provisoires pour avoir commercialisé du CBD. Le flou persiste malgré la clarté de la législation européenne, la France s’obstine dans l’interdiction ce qui mène souvent à des situations incohérentes, injustes, bouleversant la vie de familles entières. 

Novembre 2020 : la cour de justice européenne juge illégale l’interdiction en France du CBD, autorisée dans plusieurs autres pays européens, au nom du principe de libre circulation des marchandises.

Décision confirmée par la cour de cassation en juin 2021 qui considère que tout CBD produit légalement dans l’Union Européenne peut être vendu en France. Bien que réconfortantes pour les acteurs du marché, le cas des producteurs français n’est toujours pas solutionné et les perquisitions et fermetures arbitraires se poursuivent malgré de multiples relaxes.

Un arrêté gouvernemental paraît en décembre 2021 qui légifère sur la production, la transformation et la vente du CBD. Le CBD est légalisé pour les produits transformés mais pas pour les formes brutes c'est-à-dire les fleurs et la résine qui restent interdites. Les raisons invoquées par le gouvernement sont que le CBD poserait un problème de santé publique mais aussi que l’impossibilité de distinguer les fleurs de THC des fleurs de CBD rendrait impossible leur contrôle par les forces de l’ordre. Cet arrêté met alors en péril tout le secteur du CBD car la vente de fleurs représente environ 75% de son chiffre d’affaire. Le Conseil d’Etat est donc immédiatement saisi par les professionnels du secteur.

Le 24 janvier 2022 l’arrêté gouvernemental est suspendu par le Conseil d’Etat qui va finalement décider, le jeudi 29 décembre 2022, de retoquer définitivement l'article de l'arrêté gouvernemental paru en décembre 2021. Il clarifie enfin la situation libérant les producteurs et les détaillants d’une situation injuste. Le conseil d’Etat reprend les recommandations de la CJUE, de l’OMS en réaffirmant que le CBD ne pose aucun danger sanitaire n’étant pas psychoactif contrairement au THC. Il souligne qu’il a des propriétés relaxantes et anti-convulsivantes présentant un intérêt. Enfin il balaie l’argument de la sécurité et de l’impossibilité de contrôle par les force de l’ordre en précisant que des tests rapides et bon marché peuvent être facilement réalisés.

Quelles perspectives pour le cannabis Sativa L en France ?

La fin des tests sur le cannabis thérapeutique en 2023 sera une étape importante. Débutée en mars 2021 cette expérimentation de 2 ans a pour but d’étudier le bien fondé de l’utilisation du cannabis médical et permettra peut-être à terme la délivrance de cannabis sur ordonnance par les pharmaciens. Ce test dans des conditions réelles concerne environ 3000 patients souffrant de douleurs chroniques, d’épilepsies, de cancers ou de maladies touchant le système nerveux central telles que la sclérose en plaque. A ce jour de nombreux pays ont adoptés le cannabis thérapeutique (Canada, Israël, Pays-Bas, Allemagne, Royaume-Uni, Portugal, Luxembourg, Lituanie, Chypre, Uruguay, Chili, Colombie, etc. et 33 Etats aux Etats-Unis) jugeant son usage pertinent afin de traiter des pathologies spécifiques.

L’autre évolution rapide dans le monde concerne la dépénalisation et la légalisation du cannabis récréatif. Bien que la dépénalisation de la détention et de l’usage augmente fortement, les pays ayant franchi le cap de la légalisation sont encore très rares (on peut citer l’Uruguay, le Canada, certains Etats US, les Pays-Bas (non légalisé mais plutôt un usage réglementé).  Après de nombreuses années de répression infructueuse et très couteuse, c’est un vrai débat de société qui est remis sur le devant de la scène dans beaucoup de pays. L’enjeu serait pour les Etats pionniers de pouvoir entre autre réduire ou réorienter les budgets alloués à la lutte contre le trafic, récolter des impôts et des taxes, créer de l’emploi et de nouvelles filières, sécuriser le consommateur, faciliter la prévention et le dialogue notamment chez les jeunes, libérer des places de prison. En Octobre 2022 Joe Biden a annoncé l’annulation de toutes les condamnations fédérales pour simple détention. Aux Etats-Unis  la consommation récréative a été légalisée dans 16 États, le plus récent étant New-York en mars 2021. Du côté de l'Europe, la possible légalisation du récréatif en Allemagne (qui fait déjà preuve d’une grande tolérance dans le domaine) serait un pas de géant éventuellement susceptible de provoquer un effet domino sur le vieux continent.

La plante de cannabis Sativa L. est une boîte de pandore scientifique. La plante de cannabis contient une centaine de cannabinoïdes et pléthore de molécules et de principes actifs dont l’influence sur le corps humain est toujours plus étudiée. Cela ouvre la voie à de nouvelles découvertes innovantes comme le récent succès de la synthétisation du CBDA ou les possibles propriétés spécifiques de cannabinoïdes tels que le CBG, le CBN, le THCV ou le HHC. Il reste encore de nombreuses pages à écrire que ce soit pour le cannabis bien-être ou le thérapeutique.

Dans le domaine du cannabis bien-être l’augmentation progressive des limites de THC afin d’arriver à une harmonisation au niveau de l’UE est aussi un objectif raisonnable. Certains pays comme l’Italie et la Suisse possèdent déjà des limites de THC plus élevées que dans le reste de l’Europe (respectivement 0,6 et 1%<THC). La question sera probablement étudiée dans les années à venir car cela crée une situation de concurrence déloyale sur un marché ouvert et commun, cela permettra aussi d’améliorer la qualité finale et facilitera le travail des producteurs sans incidence sur la santé des consommateurs.

La légalisation du CBD en France a donc été un chemin semé d’embûches en dépit de son innocuité éprouvée. Il est aujourd’hui possible d’acheter et de consommer du CBD quelle que soit sa forme en respectant les conditions suivantes :

  • La plante doit faire partie de la liste établie par l’UE
  • Le produit doit contenir un taux de THC inférieur à 0,3%
  • Il ne doit en aucun cas être vendu comme un médicament
 Les changements de perception du public et du monde politique prendront certainement du temps car les dogmes et les croyances semblent ancrés dans les mentalités lorsqu’on parle de chanvre. Cependant on ne peut ignorer l’évolution actuelle et l’ouverture croissante de nombreux Etats favorables à un changement des politiques publiques en la matière.